vendredi 25 avril 2008

Farfouillette

Maman dit que je pose tout le temps des questions. Moi, je ne trouve pas. Je ne sais pas comment on peut rester sans savoir. Et puis c’est important d’être précis si on veut bien comprendre et être comme les autres.
Papa pousse des soupirs excédés quand on regarde un match de foot ensemble. D’abord, il faut que je sache qui joue contre qui. Ensuite qui joue en rouge et qui joue en vert (ou en jaune, ou en noir, ou en bleu). Et puis chaque fois que le commentateur cite un nom, je demande à papa qui c’est. Au début, il me répond puis il grogne puis il se tait. Je vois bouger le petit muscle sous son œil. Ca veut dire qu’il est énervé. Il serre très fort les bras sur son thorax. J’aime bien dire « thorax ». C’est plus joli que poitrine, surtout pour un homme. Ca fait barbare, rugueux et surtout large. Un thorax n’est pas petit : il est large et puissant.

Le plus bizarre, c’est que je continue quand même à poser des questions. Pourtant je sais ce qui va se passer : il va exploser. Des fois, il m’implore de me taire. Il est au bord des larmes. Alors, je dis « bon d’accord » et c’est mon tour de pousser un soupir excédé. Parfois, maman vole à son secours : « mais pourquoi, tu laisses pas ton père tranquille ! ». Des fois, elle dit qu’elle va me tuer et ça me fait peur. Papa voit mon menton trembler, alors il me prend dans ses bras.

Maman dit que je dois arrêter d’écrire. Elle dit que ça me fait vivre dans un monde qui n’existe pas, que ça m’empêche de grandir. Que je ferais mieux d’aller tondre la pelouse ou de laver la voiture pour voir que la vie c’est pas de la rigolade. Mais je le sais que la vie c’est pas de la rigolade. Surtout la leur. Quand maman crie, papa baisse la tête et les épaules. Il ressemble à un pantin abandonné sur une étagère. J’ai envie de lui prendre la main, de lui dire que c’est pas grave. Moi, j’ai l’habitude qu’on me crie dessus.

Il faut pas croire que je ne suis pas heureux. Ca m’arrive souvent. Quand je suis très heureux, je m’ouvre comme une fleur. J’ai l’impression d’être plus grand que moi et que le bonheur jaillit de mon corps. J’ai envie de danser, de me rouler par terre, d’embrasser tout le monde. Maman me dit d’arrêter de faire le fou, que j’ai huit ans maintenant. Mais moi je trouve que huit ans, c’est pas beaucoup. C’est même très jeune comme âge. Dans ma famille ou dans la rue, il n’y a pas beaucoup de gens plus jeunes que moi. Il n’y a que mes petites sœurs Faustine et Lila. Faustine a 6 ans. C’est ma première sœur et c’est celle que j’aime le plus au monde. C’est dommage qu’il y ait pas de mot au dessus de sœur. Et même au dessus d’aimer. Faustine, c’est la personne que je voudrais être. Elle est toujours gaie, jamais inquiète. Même quand Papa ou Maman lui crient dessus, elle reste légère comme une fée. Moi quand on me dispute, je me sens lourd, tout serré à l’intérieur et je voudrais être ailleurs. Faustine, elle s’en fout. Ou plutôt, elle s’en fiche, dirait Maman. Il y a des mots qu’il faut pas dire parce qu’ils sont pas jolis. Et pourtant, les parents les disent aussi. Surtout, Papa. Par exemple, on ne dit pas « bordel » mais « bazar ». Et bien Papa, il dit souvent « bordel ». Quand Faustine ou moi, on le reprend, on voit que ça l’énerve mais il est obligé de dire « bazar ». Alors, il nous fiche la paix et repart de notre chambre en grognant.

Dans mon jardin, il y a des pies. Elles sont très grosses, presque aussi grosses que mon chat. Papa dit qu’elles sont méchantes et qu’elles font fuir les autres oiseaux. Au début, je les trouvais belles mais plus maintenant. Il y en a trop. On trouve joli les animaux que l’on voit pas beaucoup comme les lions ou les éléphants. Mais je suis sûr que si j’avais dix éléphants dans mon jardin, à force j’en aurais marre. C’est comme les phoques. Nous, on trouve ça joli et rigolo mais les esquimaux, ils s’en balancent. La preuve : ils les zigouillent pour les manger et mettre de l’huile dans leurs lampes. Un phoque là-bas, c’est un peu comme une vache chez nous.
J’ai un chien aussi. Il s’appelle Zoltar. C’est le nom que je lui donne. Papa et maman l’appellent Tom mais moi je préfère Zoltar. Ca fait chien de l’espace. Hier, j’ai rigolé parce que maman a dit que Zoltar avait des tiques. Je savais pas que les tiques étaient des petites bestioles qui se plantaient dans la peau des chiens pour leur sucer le sang. Alors, j’ai cru que Zoltar avait des tics ! Comme le monsieur à la télé qu’arrête pas de bouger le cou et les épaules. J’imaginais mon chien cligner des yeux et bouger les épauler et je rigolais dans ma tête. Je l’ai pas dit à maman parce qu’elle avait l’air très inquiète. Souvent, je dis pas ce que je pense. De toutes façons, ça serait pas possible : je pense tout le temps. Déjà qu’ils trouvent que je parle trop, alors là…

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