lundi 30 juin 2008

Denisov

Je sais pourquoi les gens m’aiment bien : parce que je les fais rire quand ils ont de la peine. Hier, je l’ai dit à maman dans la voiture. Ca l’a fait sourire et elle m’a envoyé un bisou dans le rétroviseur. Elle m’a dit que j’étais un gentil garçon et qu’elle était très fière de moi. Alors j’ai dit : « c’est pas vrai, t’es pas fière de moi ! ». Elle m’a demandé pourquoi je disais ça et j’ai répondu que je ne savais pas. Alors, elle m’a dit qu’elle m’aimait très fort.

Ce matin, j’ai demandé à Papa qui a gagné le match de foot d’hier soir. Ce sont les russes. Les russes sont des gens qui ont très froid l’hiver. Ils ont des bonnets en fourrure avec des grandes oreilles, comme Zoltar, et ils font pipi sur leur voiture pour pouvoir ouvrir les portières. C’est Papa qui me l’a dit. Ca nous a fait rigoler, Faustine et moi. « Pipi », ça fait partie des mots qui nous font rire, comme « fesses » ou « quéquette ».
C’est Denisov, le numéro 9 qui a marqué, de la tête. J’ai demandé comment il avait fait avec son bonnet en fourrure et Papa m’a dit : « réfléchis dans ta tête ! ». Alors j’ai répondu qu’il l’avait enlevé. Et papa a dit « c’est ça ! ». Alors, j’ai demandé où il l’avait mis. Papa a soupiré et il est parti en secouant la tête. Moi, je pense qu’il l’a laissé au vestiaire ou alors dans le bus, pour pas qu’on lui prenne. Il faut faire attention avec ses affaires, surtout celles qui sont importantes.

Ce midi, j’ai mangé à la cantine, avec Faustine, et j’ai été puni par Bruno. C’est le chef de la cantine. Je ne sais pas pourquoi il m’a puni. J’ai dû aller au coin et tout le monde rigolait. Quand je suis revenu à table, les autres avaient tout mangé. Alors Bruno a dit que ça me servirait de leçon et que la prochaine fois je lèverai le bras comme les autres.
Personne ne sait ce que j’ai. Je suis différent. Quand j’étais petit, il paraît que j’étais tout mou, très calme et très câlin. Un peu comme le doudou de Faustine. C’est peut-être pour ça que Lila veut que je vienne dans son lit. Je suis un grand frère doudou et j’aime bien quand elle passe son petit bras autour de mon cou. Je ne bouge plus et je respire doucement son odeur de bébé.

vendredi 25 avril 2008

Papy

Dans le salon, il y a une photo de papy Georges. Il est parti au ciel et papa était triste quand c’est arrivé. L’été, avec Faustine, on s’allonge dans l’herbe et on regarde les nuages. Et je me dis que je regarde peut-être papy Georges sans le voir.
Moi aussi, je serai triste quand mon papa va mourir. Et je serai très triste quand je vais mourir. Maman m’a dit que ce serait dans très longtemps, et qu’avant j’aurai des enfants et que je serai même grand-père. Alors, j’ai le temps.
Il paraît que personne ne sait ce qu’il y a après la mort. Personne ne sait non plus où on était avant notre naissance. Peut-être que l’on était mort ? Peut-être qu’on attendait que quelqu’un meure pour prendre sa place ? Un peu comme quand on fait la queue pour monter dans le manège. On regarde les autres tourner et quand le manège ralentit, on s’approche parce que l’on sait que ça va être bientôt notre tour. Sauf que moi, je ne me rappelle pas où j’étais avant de naître. Des fois, je ferme les yeux très fort et j’essaie de me souvenir. Pour l’instant, je ne suis remonté que jusqu’à la maternelle. Je me souviens d’une petite fille qui s’appelait Dorothée. J’étais son fiancé et j’avais des chaussures bleues à scratch. Elle m’avait invité à son anniversaire et je la revois au milieu des ballons et des bonbons Haribo.
J’aime bien les anniversaires. Faustine, elle est sans arrêt invitée. Et après, elle me raconte. J’adore ça. Je m’assied sur son lit et elle m’explique tout : le goûter, les jeux, la musique, les cadeaux. Elle gonfle les joues, saute à cloche pied, danse comme une princesse. Je lui pose des questions et elle me répond toujours. Faustine, c’est la seule qui ne s’énerve pas quand je pose des questions.

Linana

L’autre fois, j’ai beaucoup parlé de Faustine et je trouve que c’est pas très juste pour Lila. C’est pas de sa faute si elle est petite. Elle a que deux ans, alors forcément je la connais moins que Faustine. Faustine, c’est ma jumelle, même si on a deux ans d’écart. Lila, c’est ma petite sœur. Je l’aime beaucoup et je m’inquiète souvent pour elle. Je la console quand elle pleure, je lui lis des histoires, je tombe par terre pour la faire rigoler. Le soir, elle m’appelle pour que je vienne dans son lit mais maman ne veut pas que j’y aille. Elle dit qu’il ne faut pas lui donner de mauvaises habitudes, qu’elle ne voudra plus dormir toute seule.
Le soir, Lila attend que Faustine se brosse les dents pour se glisser en douce dans sa chambre et lui piquer un doudou. Parce que Faustine a 4 doudous : 4 lapins à peau verte avec le ventre jaune et l’intérieur des oreilles orange. Lila en prend un et se réfugie dans son lit aussi vite que peuvent courir ses petites jambes. Mais Faustine s’en aperçoit toujours. Alors, elle lui arrache le doudou et se met au lit en serrant très fort sous sa couette ses 4 lapins. Et Lila pleure. Et moi, je n’ai pas le droit d’aller la consoler.
Papa l’appelle Linana, ma petite Lili, ma petite Nana. Il aime bien les surnoms. Moi, il m’appelle Baptistounet et Faustine, Titounette. Il manque un peu d’imagination. Autant, Zoltar, ça fait chien de l’espace, autant Baptistounet ou Titounette, ça fait tarte.
Lila, elle appelle Zoltar « Dehors » parce que Papa et Maman crient toujours sur le chien en lui disant « dehors ! ». D’ailleurs, elle appelle tous les chiens « dehors » et ça me fait rigoler dans ma tête. Là où je rigole le plus, c’est quand elle court. Elle rentre les épaules, baisse la tête et ses petits pieds ne font presque pas de bruit sur le carrelage.

Farfouillette

Maman dit que je pose tout le temps des questions. Moi, je ne trouve pas. Je ne sais pas comment on peut rester sans savoir. Et puis c’est important d’être précis si on veut bien comprendre et être comme les autres.
Papa pousse des soupirs excédés quand on regarde un match de foot ensemble. D’abord, il faut que je sache qui joue contre qui. Ensuite qui joue en rouge et qui joue en vert (ou en jaune, ou en noir, ou en bleu). Et puis chaque fois que le commentateur cite un nom, je demande à papa qui c’est. Au début, il me répond puis il grogne puis il se tait. Je vois bouger le petit muscle sous son œil. Ca veut dire qu’il est énervé. Il serre très fort les bras sur son thorax. J’aime bien dire « thorax ». C’est plus joli que poitrine, surtout pour un homme. Ca fait barbare, rugueux et surtout large. Un thorax n’est pas petit : il est large et puissant.

Le plus bizarre, c’est que je continue quand même à poser des questions. Pourtant je sais ce qui va se passer : il va exploser. Des fois, il m’implore de me taire. Il est au bord des larmes. Alors, je dis « bon d’accord » et c’est mon tour de pousser un soupir excédé. Parfois, maman vole à son secours : « mais pourquoi, tu laisses pas ton père tranquille ! ». Des fois, elle dit qu’elle va me tuer et ça me fait peur. Papa voit mon menton trembler, alors il me prend dans ses bras.

Maman dit que je dois arrêter d’écrire. Elle dit que ça me fait vivre dans un monde qui n’existe pas, que ça m’empêche de grandir. Que je ferais mieux d’aller tondre la pelouse ou de laver la voiture pour voir que la vie c’est pas de la rigolade. Mais je le sais que la vie c’est pas de la rigolade. Surtout la leur. Quand maman crie, papa baisse la tête et les épaules. Il ressemble à un pantin abandonné sur une étagère. J’ai envie de lui prendre la main, de lui dire que c’est pas grave. Moi, j’ai l’habitude qu’on me crie dessus.

Il faut pas croire que je ne suis pas heureux. Ca m’arrive souvent. Quand je suis très heureux, je m’ouvre comme une fleur. J’ai l’impression d’être plus grand que moi et que le bonheur jaillit de mon corps. J’ai envie de danser, de me rouler par terre, d’embrasser tout le monde. Maman me dit d’arrêter de faire le fou, que j’ai huit ans maintenant. Mais moi je trouve que huit ans, c’est pas beaucoup. C’est même très jeune comme âge. Dans ma famille ou dans la rue, il n’y a pas beaucoup de gens plus jeunes que moi. Il n’y a que mes petites sœurs Faustine et Lila. Faustine a 6 ans. C’est ma première sœur et c’est celle que j’aime le plus au monde. C’est dommage qu’il y ait pas de mot au dessus de sœur. Et même au dessus d’aimer. Faustine, c’est la personne que je voudrais être. Elle est toujours gaie, jamais inquiète. Même quand Papa ou Maman lui crient dessus, elle reste légère comme une fée. Moi quand on me dispute, je me sens lourd, tout serré à l’intérieur et je voudrais être ailleurs. Faustine, elle s’en fout. Ou plutôt, elle s’en fiche, dirait Maman. Il y a des mots qu’il faut pas dire parce qu’ils sont pas jolis. Et pourtant, les parents les disent aussi. Surtout, Papa. Par exemple, on ne dit pas « bordel » mais « bazar ». Et bien Papa, il dit souvent « bordel ». Quand Faustine ou moi, on le reprend, on voit que ça l’énerve mais il est obligé de dire « bazar ». Alors, il nous fiche la paix et repart de notre chambre en grognant.

Dans mon jardin, il y a des pies. Elles sont très grosses, presque aussi grosses que mon chat. Papa dit qu’elles sont méchantes et qu’elles font fuir les autres oiseaux. Au début, je les trouvais belles mais plus maintenant. Il y en a trop. On trouve joli les animaux que l’on voit pas beaucoup comme les lions ou les éléphants. Mais je suis sûr que si j’avais dix éléphants dans mon jardin, à force j’en aurais marre. C’est comme les phoques. Nous, on trouve ça joli et rigolo mais les esquimaux, ils s’en balancent. La preuve : ils les zigouillent pour les manger et mettre de l’huile dans leurs lampes. Un phoque là-bas, c’est un peu comme une vache chez nous.
J’ai un chien aussi. Il s’appelle Zoltar. C’est le nom que je lui donne. Papa et maman l’appellent Tom mais moi je préfère Zoltar. Ca fait chien de l’espace. Hier, j’ai rigolé parce que maman a dit que Zoltar avait des tiques. Je savais pas que les tiques étaient des petites bestioles qui se plantaient dans la peau des chiens pour leur sucer le sang. Alors, j’ai cru que Zoltar avait des tics ! Comme le monsieur à la télé qu’arrête pas de bouger le cou et les épaules. J’imaginais mon chien cligner des yeux et bouger les épauler et je rigolais dans ma tête. Je l’ai pas dit à maman parce qu’elle avait l’air très inquiète. Souvent, je dis pas ce que je pense. De toutes façons, ça serait pas possible : je pense tout le temps. Déjà qu’ils trouvent que je parle trop, alors là…